MIERMONT, Jacques – 05 novembre 2015

 

Dès son origine, le mouvement des thérapies familiales a repéré l’importance de la dimen­sion émotionnelle tant dans la manifestation des troubles et des pathologies que dans leur traitement. Parmi les grands pionniers, N. Ackerman, G. Bateson, M. Bowen, parmi bien d’autres, nous incitent à découvrir une mine de réflexions contrastées et éclai­rantes à ce sujet. Il y a plus de trente ans, S. Hirsch parlait du répertoire émotion­nel spécifique à la famille où parents et enfants découvrent tout un jeu d’affection, d’attachement, de responsabilités, d’agressivité, de rejet, d’amour, de haine

Du point de vue clinique, si les émotions se manifestent comme une dimension es­sentielle et incontournable du travail thérapeutique, elles n’apparaissent jamais seules, isolées des autres dimensions du fonctionnement de l’esprit humain (intériorité, rela­tions et contextes). Les systèmes sentimentaux et intellectuels ne manquent pas de s’exprimer conjointement à l’activation des systèmes émotionnels : selon les cas, ces derniers méritent d’être libérés (abréaction et catharsis) ou contenus (canalisation et réorientation).

Les apports de l’éthologie, de l’anthropologie, puis des neurosciences viennent confirmer l’importance de la ritualisation d’une part, et de l’articulation entre systèmes émotion­nels et systèmes intellectuels dans les prises de décision d’autre part. Dans une relation, les émotions diffusent facilement d’une personne à une autre. Mais elles peuvent être trompeuses. Et les sentiments de cette même personne ne sont connaissables par autrui que par ce qu’elle en dit. À dire vrai, elle peut tout aussi bien en falsifier la teneur.

L’apprentissage du thérapeute repose tout autant sur l’auto-évaluation des attitudes ayant des effets thérapeutiques, à partir des présentations relationnelles (perceptions et im­pressions) et les indices émanant de ses marqueurs somatiques (sensations corpo­relles cénesthésiques) que sur leur examen raisonnable, en particulier par des écarts de la réflexion (abduction) et par le retour critique des patients et de leurs familles. La dif­ficulté de cette auto-évaluation tient au fait que ces attitudes sont non conscientes pour une très grande part.

S. Hirsch donne ses lettres de noblesse au « bricolage » (qui n’est pas sans rapports avec le bricolage de l’évolution) et l’artisanat qui accepte la reconnaissance des ratages thérapeutiques. Cet « artisanat furieux », comme l’exprime René Char, nous oblige à constater que l’émotion la plus immédiate est d’emblée connectée à autre chose : ce que l’autre ou soi-même peut en dire, ce qui devient un sentiment ; voire en penser, ce qui devient une hypothèse théorique, émanation plus ou moins sophistiquée de ces fa­meux ratages dont on parle si peu.